Comment accompagner un proche souffrant d'un cancer?
Face à un proche atteint de cancer, comment ne pas trop en faire, apporter du réconfort tout en respectant le droit du malade à perdre le moral? "Etre présent. Passer du temps ensemble, ne pas avoir peur. Quand la douleur se fait atroce, que le visage est émacié et terreux, que le corps lâche, continuer à être là sans peur." C'est ce que Marie-Caroline s'est efforcée de faire avec son père tout au long de son combat contre le cancer, jusqu'au dernier jour.
Lorsque la maladie frappe, elle n'épargne personne et l'onde de choc bouscule en premier lieu les proches. Des proches souvent perdus face à d'impossibles équations: comment accompagner l'être cher dans sa souffrance, l'aider à ne pas perdre espoir tout en ne le berçant pas d'illusions? Dans quelle mesure peut-on apporter un quelconque réconfort, à quel moment doit-on s'effacer, comment trouver les mots qui apaisent? Autant de questions auxquelles les réponses varient, au gré des pathologies, des pronostics et de la personnalité de chacun. Une constante néanmoins, affirme Pierre Saltel, responsable de l'unité de psycho-oncologie du Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard à Lyon: "il est essentiel pour les patients que l'entourage s'implique."
"Le soutien passe le plus souvent par des choses très simples"
Une nécessité que les proches intègrent "bien mieux qu'on ne pourrait le penser", ajoute Pierre Saltel: "Compte-tenu de la difficulté de cet accompagnement, il faut le souligner, cela se passe souvent le mieux possible." Et ce en dépit de la complexité de ce qui est demandé aux aidants, poursuit-il. "A savoir, être présent sur le plan affectif, bien sûr, mais souvent également matériel." Les traitements contre le cancer et la maladie elle-même privent en effet souvent ceux qui en souffrent de leur autonomie, les obligent à demander un soutien qui va bien au delà de l'épaule pour pleurer: trajets à l'hôpital, aide à la toilette, au suivi des soins, formalités administratives... La liste est longue.
S'il n'existe pas de mode d'emploi, Pierre Saltel insiste sur un point: "Le soutien passe le plus souvent par des choses très simples." Des encouragements, des petits gestes du quotidien, comme un lit fraîchement refait, un thé au bon moment, un bouquet de fleurs, des lessives, la vaisselle. Autant de tâches anodines pour qui est en bonne santé mais souvent insurmontables lorsqu'on est terrassé par les effets secondaires d'un traitement ou la douleur générée par la maladie. "J'ai eu la chance que les aspects logistiques, professionnels et autres ne soient pas un problème et grâce à ça, j'ai pu me concentrer sur ma guérison", témoigne ainsi Sophie, en rémission d'un cancer du sein.
Ne pas forcer le malade à "garder le moral"
Autre recommandation du psychiatre, "ne pas chercher à être trop psychologisant, ni tomber dans le piège consistant à vouloir remonter le moral à tout prix". "Le malade passe par des périodes de découragement voire de dépression, par des phases de fatigue intense, de perte d'appétit. C'est normal. Vouloir à tout prix qu'il ait le moral, s'inquiéter qu'il ne parvienne pas à sortir de son lit ou à finir son assiette est souvent voué à l'échec et frustrant pour tout le monde. Lorsqu'on s'inquiète, mieux vaut s'adresser au personnel médical, qui saura faire la part des choses, plutôt que de transmettre sa peur au malade. Les proches ne sont jamais illégitimes dans leur demande de renseignements auprès des médecins. Ces derniers savent à quel point leur rôle est important et difficile et combien l'équilibre entre en faire trop ou pas assez est fragile." "Ce n'est pas parce que la personne malade n'a pas le moral qu'elle va forcément s'abattre ou que le cancer va progresser. Souvent, on demande aux malades d'être optimistes parce que c'est plus confortable pour l'entourage, moins anxiogène", ajoute Pierre Saltel.
Quant à sa propre angoisse, s'il est naturel d'en faire part à l'autre, d'autant plus lorsque c'est un(e) conjoint(e) qui est touché(e), il est préférable de veiller à ne pas la faire peser sur le malade, qui se sent déjà souvent "coupable de ce qu'il inflige à son entourage", observe Pierre Saltel. D'où l'importance d'avoir la possibilité soi-même de se confier à une tierce personne, qu'il s'agisse d'un ami ou d'un professionnel. "Mon mari m'a été d'une aide incroyable. Il ne m'a jamais montré qu'il était inquiet, alors qu'il l'était bien sûr. Je l'ai su plus tard par une amie dont le mari est cardiologue et que mon mari a souvent appelé pendant cette période", raconte Sophie.
Parler et écouter, ne pas infantiliser
Marie-Caroline se souvient qu'elle s'est efforcée jusqu'à la fin "de parler normalement" à son père. "Les infirmiers parlaient plus fort en articulant davantage. Un jour que les brancardiers l'emmenaient pour ce qui devait être la dernière fois à l'hôpital, ils ont employé ce ton. J'ai regardé mon père et je leur ai dit gentiment: "Il n'est pas sourd vous savez, il a un cancer". J'ai à nouveau regardé mon père si maigre dans son linceul, il m'a souri et il a ri des yeux." "Jusqu'au bout ça a été mon père, confie la jeune femme. Je l'ai traité avec le même respect, la même estime que quand il allait bien". Une façon de ne pas laisser le cancer prendre le pas sur l'essence même de l'être humain touché par la maladie. Un point fondamental pour Hélène, infirmière en soins palliatifs depuis une dizaine d'année: "tant qu'on n'est pas décédé, on est vivant, même dans les tous derniers instants d'une vie."
Également souvent évoquée par les proches, l'importance d'être à l'écoute des besoins et des attentes. "Quand mon père a été prêt, il m'a dit qu'il savait, que c'était fini. C'était environ trois mois avant son décès. Je suis certaine qu'il a voulu que je lui dise que oui c'était vrai, il n'y avait plus rien à faire, que c'était fini. Ne pas mentir était une évidence pour moi. Même si c'est affreux de dire à son père qu'il va effectivement mourir", raconte Marie-Caroline.
Thibault, dont la femme vit actuellement une rechute de son cancer du sein, tient le même discours: "Je ne serai jamais celui qui lui apprendra qu'elle est condamnée si par malheur ce jour arrivait. Mais je sais qu'elle voudra savoir et que ce jour là, je devrai regarder la vérité en face avec elle. D'autres préfèrent en revanche vivre dans le flou, ne pas connaître le pronostic ou leur espérance de vie. Il faut alors respecter cela. En somme, j'ai l'impression qu'accompagner une personne malade du cancer c'est marcher dans ses pas, à son rythme, ne jamais essayer de lui imposer notre tempo. Ce qui n'est pas tout le temps facile, loin de là."
S'informer sur la maladie sans pour autant se substituer aux médecins
C'est peu ou prou ce que suggère ce guide destiné aux proches des malades par la Ligue contre le cancer: "Le secret est d'abord de laisser la personne malade parler, s'exprimer. Ne vous précipitez pas pour faussement la rassurer, ou à l'opposé, laisser percevoir votre propre inquiétude. Posez les questions qui lui permettront de mettre des mots sur ses émotions. Ainsi vous serez capable de mieux comprendre ce qu'elle est en train de vivre, et vous réagirez de façon plus pertinente."
Toutefois, poursuivent les spécialistes auteurs du guide, "pour pouvoir poursuivre un vrai dialogue tout au long de la maladie, il vous sera nécessaire d'acquérir un minimum de notions techniques concernant l'affection en cause, de vous familiariser avec un certain vocabulaire: que signifie exactement le diagnostic tel qu'il a été énoncé, mais aussi à quoi correspondent les divers examens, et les traitements prescrits?"
Attention à ne pas se transformer en médecin ou infirmière pour autant. Si comprendre les tenants et les aboutissants de ce qu'il se passe est indispensable, mieux vaut que chacun garde son rôle. Sandrine, dont la mère est décédée d'un cancer il y a six ans, raconte: "une semaine avant son décès, je me suis rendu compte que le souvenir que je voulais emporter de ma mère ce n'était pas moi en train de lui changer sa couche, et j'ai juste arrêté de le faire, laissant ce soin aux soignants et aides qui se relayaient à la maison. " Un lâcher prise qui lui a permis de se concentrer sur l'essentiel: "De ces derniers instants, je me souviens surtout de la tendresse des moments passés ensemble, de la conscience que nous avions, ma mère, mes frère et soeur et moi que cela n'allait pas durer et de l'urgence d'en profiter." "Tous les soirs nous nous retrouvions à dîner tous ensemble, comme au temps de notre adolescence. Je me souviens que nous ouvrions de bonnes bouteilles pour faire passer ces moments pénibles, et qu'on les a plutôt transformés en moments tendres, en fin de compte."
Garder de la place pour la joie et la vie
Dernier conseil et pas le moindre, veiller à ne pas laisser la maladie occuper tout l'espace de vie, recommandent les auteurs du guide de la Ligue contre le cancer: "Donnez une large place aux projets, au rêve, à la vie de famille et à la vie sociale." "Il est important de se distraire, de faire des pauses." Parfois même, l'humour et le rire s'invitent dans les situations les plus douloureuses. Sandrine se rappelle ainsi avoir ri "de situations ubuesques à l'hôpital" et Sophie garde en mémoire le jour où son mari a tondu ses cheveux qui tombaient par poignées: "Il a réussi à le faire avec humour et légèreté, ce fut précieux."
Caroline a pour sa part "tenté d'accompagner du mieux possible" l'une de ses amies les plus proches atteinte d'un cancer du sein. "Après qu'on lui a enlevé le sein, je l'appelais tous les jours à l'hôpital, faute de pouvoir traverser la France pour être à son chevet. On parlait de tout et de rien, parfois quelques minutes, parfois plus. Un jour, on s'est dit que lorsque ce serait fini, je l'accompagnerais acheter des Louboutin à Paris -c'est une dingue de chaussures. Je pensais que c'était plus une boutade qu'autre chose, mais quelques mois plus tard, quand elle a officiellement été en rémission, elle m'a donné rendez-vous dans la boutique de la rue du Faubourg Saint Honoré. Elle n'avait non seulement pas oublié mais j'ai compris que de tout ce que j'avais tenté de faire pour l'aider, c'était sans doute ce qui l'avait le plus réconfortée: cette perspective d'un après-midi futile dans un magasin de chaussures. Je n'ai jamais été aussi émue d'acheter une paire d'escarpins et je crois pouvoir affirmer qu'elle non plus. On n'oubliera jamais ni elle ni moi cet instant où la vie a repris ses droits."